Thomas Jonglez, d’aventures en aventures

PORTRAIT – Ce passionné de voyages et d’expériences inédites fête, cette année, les 15 ans de sa maison d’édition qui publie des guides touristiques «insolites et secrets».

Par Alyette Debray-Mauduy

Qu’il soit assis dans un café d’Ipanema à Rio – là où il habite – ou à une table du très chic Hôtel Costes, à Paris, il a cette même dégaine de baroudeur. Chemise ouverte, chèche autour du cou, teint hâlé et petites lunettes rondes. Un look à la Indiana Jones… Sauf que cet éternel curieux n’est pas à la recherche de l’Arche perdue mais à l’affût de sites insolites et secrets pour les guides touristiques qu’il édite depuis maintenant quinze ans. Des lieux loin des sentiers battus, des adresses ultraconfidentielles, mais non moins sensationnelles. À Venise, New York, Buenos Aires ou encore Londres, Cape Town, Tokyo… Au total, quarante-cinq villes – cinquante à la fin de l’année – à découvrir autrement. Sa cible: «les habitants eux-mêmes, ceux qui connaissent déjà par cœur une destination, qui veulent entrer dans le détail ou ceux qui fuient les hordes de touristes», comme lui lorsqu’il voyage. Pourtant, jusqu’à sa majorité, Thomas Jonglez n’a guère été plus loin qu’en Bretagne. À propos de son enfance, il avoue «qu’il ne s’est pas passé grand-chose». Une famille bourgeoise de quatre enfants, un père cadre supérieur dans de grands groupes pétroliers, des études à Saint-Jean-de-Passy. «La vie s’écoulait… Point.» Il passe ses week-ends au bois de Boulogne «pour s’aérer», ses vacances à La Trinité ou à l’île de Ré. Au mieux, il visitera Jersey en famille. Mais il est l’original de la famille. Son bac en poche, il embarque ainsi pour l’Inde et le Népal avec trois copains. Un voyage comme un électrochoc. Une révélation.

«J’étais totalement accro aux voyages. J’aimais cette impression de me sentir paumé, que j’assimilais à un sentiment de liberté»

Thomas Jonglez

«J’apprenais la vie, je sortais du chloroforme dans lequel j’avais été plongé pendant dix-huit ans.» L’étudiant à l’Essec ne compte pas s’arrêter là. Il décroche un stage à Tokyo. Lui qui a l’art de raconter les histoires relate, amusé, comment il découvre les hôtels-capsule, les karaokés, les Jacuzzi géants «où se retrouvent plus de cent Japonais, entièrement nus, avec leur plateau-repas flottant». Ce garçon de bonne famille se demande un peu où il a atterri. Mais il en redemande… Ses études terminées, il part pour l’Amérique du Sud, sac au dos, officiellement «pour apprendre l’espagnol». Traverse le Paraguay, le Pérou, la Patagonie… Pour le coup, sa vie devient vraiment celle d’un aventurier. Il passe la frontière bolivienne en pleine savane, dort dans des hôtels peu recommandables, tenus par d’anciens nazis, navigue avec Alain Caradec – le frère de Loïc – au cap Horn. À peine son service militaire accompli, en France, le voilà reparti. «Je n’étais pas encore prêt pour travailler. Alors, j’ai pris un aller simple pour Pékin avec l’idée de revenir par la route.» Un road trip de sept mois. Et là encore, des péripéties dignes d’un Tintin Reporter, comme son entrée en fraude au Tibet, caché sous des couvertures – il était alors impossible de passer la frontière autrement que par les airs, l’accès par la route étant interdit aux étrangers. Ou encore son voyage en stop avec des militaires chinois qui l’hébergent dans leur caserne, sa halte au Pakistan dans un village tribal où marchands d’armes et de drogue ont pignon sur rue. «J’étais totalement accro aux voyages. J’aimais cette impression de me sentir paumé, que j’assimilais à un sentiment de liberté.»

Lassé par la routine

De retour à Paris, Thomas Jonglez continue à se faire plaisir et coécrit avec un ami son premier guide, Paris, 300 lieux pour les curieux. Cela ne nourrit pas son homme, il finit donc par travailler. Pour de bon. «J’ai attendu quatre ans et trois mois avant de bosser, mais ces années ont été bien plus formatrices que n’importe quel job.» Fort de cette expérience pour le moins atypique, il entre chez Usinor où il devient rapidement directeur export pour l’Amérique latine. Un rôle taillé sur mesure… Ou presque. Rapidement lassé par la routine, avec au moins une idée à la minute dans la tête, il monte une place de marché de l’acier sur Internet, soutenu par Francis Mer et avec Usinor comme actionnaire. Rien n’y fait, Thomas Jonglez a toujours ses guides touristiques dans le crâne. Alors, il cumule les deux jobs. Commercial le jour, éditeur la nuit. Il publie successivement un guide sur Bruxelles puis un autre sur Marseille. Ce dernier fait un carton et le jeune entrepreneur finit par choisir sa voie. Cette année, les Éditions Jonglez fêtent leurs 15 ans et leur million de guides vendus. La petite entreprise a trouvé son rythme de croisière: deux à trois ans de travail pour écrire un nouveau guide, des auteurs qui ne sont autres que les habitants des villes explorées, des publications en six langues, de beaux livres de photos pour compléter son catalogue et un petit bureau à Paris où Thomas Jonglez vient tous les deux mois environ. Pour sa part, il n’a jamais envisagé d’habiter la capitale. Il s’installe d’abord à Venise – «qui offre la qualité de vie des petites villes et la richesse culturelle des grandes» – avant de déménager à Rio de Janeiro où il réside aujourd’hui. «Accueillant la Coupe du monde de foot puis les Jeux olympiques, le Brésil était en plein boom et très central pour développer mon business en Amérique du Sud», explique-t-il.

L’éditeur a fait de cette soif d’aventure un mode de vie qu’il s’attache à transmettre à ses trois enfants. Après avoir quitté Venise, et avant son installation au Brésil, sa petite famille a voyagé, pendant six mois, de Moscou aux îles Salomon en passant par la Corée du Nord, la Nouvelle-Calédonie, l’île de Pâques… «Mon petit dernier a déjà découvert quarante pays, à 8 ans. L’aîné a 17 ans et rêve de devenir espion.» Lui a fait les comptes: il a visité 108 pays dans le monde, il lui en reste donc 225 à découvrir. Et peut-être autant de projets palpitants à lancer.

D’après le Figaro, 9/03/17

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